Inauguration de l’exposition
Mercredi 12 mars 2025 à 18:30 avec Luc Debraine, Jean-Pierre Bugada et Louis Ucciani
L’hôtel Chelsea à New York est depuis longtemps considéré comme un paradis pour les artistes et pour tous ceux qui veulent vivre une existence d’artistes. Ses habitants hors normes, de Mark Twain à Sid Vicious, ont marqué en profondeur la culture américaine des cent vingt-cinq dernières années. Rares sont cependant ceux qui savent que cette communauté de créateurs, la plus importante et la plus durable au monde, nichée au cœur de l’un des principaux centres du capitalisme, trouve ses origines directes dans la pensée de Charles Fourier.
À la fin du XIXe siècle, quand l’architecte idéaliste franco-américain Philip Hubert conçoit le Chelsea Association Building devenu par la suite célébrissime sous le nom de Chelsea Hotel, New York n’est pas une, mais deux villes superposées. Dans la première, les riches vivent dans de vastes demeures aux chambres spacieuses ; dans la seconde, les pauvres s’entassent dans des taudis insalubres. Hubert imagine un immeuble résidentiel coopératif, un havre où artistes et ouvriers peuvent se loger sans se ruiner, dans le confort et la dignité, partageant les coûts d’entretien et la responsabilité de la gestion de l’immeuble. Le Chelsea offre à ses occupants des salons et des galeries. Son toit est même agrémenté d’une terrasse qui peut accueillir des spectacles et permettre aux résidents et aux invités de tous milieux de frayer d’une manière inconcevable partout ailleurs, dans une ville à la stratification sociale rigide.
Depuis, on a peine à trouver un seul artiste qui n’ait jamais entendu parler du Chelsea Hotel de New York. Depuis qu’elle a ouvert ses portes en 1884, cette résidence de onze étages sur la 23e rue, a abrité des milliers d’écrivains, de musiciens, de réalisateurs de films, de danseurs, mais aussi des militants politiques connus et moins connus, et des milliers de gens qui, sans être des artistes, revendiquent ce qu’un résident a appelé une « attitude d’artiste face à la vie ». Ses portes ont vu passer Thomas Wolfe, Dylan Thomas, Arthur Miller, Brendan Behan, Bob Dylan, Janis Joplin, Jimi Hendrix, Arman, Jean Tinguely, Andy Warhol, Miloš Forman, William Burroughs, Patti Smith, Robert Mapplethorpe, Abdullah Ibrahim, R. K. Narayan, et beaucoup d’autres encore.
En mars 1965, Yves Debraine a 39 ans, comme Jean Tinguely dont y a fait, peu de temps avant, la connaissance. Yves Debraine travaille comme correspondant européen de Time-Life à New-York où il descend à l’hôtel Algonquin près de Times Square. Mais il a un autre établissement en tête : le Chelsea, l’hôtel bohème des artistes et écrivains. Est-ce un article du magazine Life sur le Chelsea Hotel paru en janvier 1965 ? L’invitation de Jean Tinguely lui-même ? Le conseil d’un cousin new-yorkais du photographe, le collectionneur d’art Jacques Kaplan ? On ne le saura pas. Quoi qu’il en soit, Yves Debraine décide de se rendre dans le légendaire hôtel où Jack Kerouac a écrit « Sur la route » et où Bob Dylan composera sous peu « Sad Eyed Lady of the Lowlands ».
Passionné par les nouveautés optiques, et leurs possibilités créatives, il vient d’acquérir un objectif fisheye, un très grand angulaire qui donne des images circulaires. Les chambres-ateliers-galeries du Chelsea Hotel sont des lieux clos, encombrés, idéaux pour des tests avec un objectif qui gobe l’espace à 180°. Nikon chargé de pellicule noir & blanc, Yves Debraine se met au travail, plusieurs jours durant. Les planches-contacts montrent une découverte systématique de l’hôtel, de la rue au toit, étage par étage, avec des haltes dans les logements des artistes. Pas tous bien sûr : l’hôtel compte plus de 200 chambres.
Guidé par Jean Tinguely, Yves Debraine se concentre sur les membres du mouvement des Nouveaux Réalistes et d’autres créateurs qui leurs sont proches.
Les photos montrent Jean Tinguely en lutte avec une armature de fer dans le lobby de l’hôtel. Sa compagne Niki de Saint-Phalle confectionnant ses grandes effigies féminines. Daniel Spoerri posant parmi ses tableaux-pièges, revêtant un masque à l’occasion. Arman et ses accumulations, jouant comme Spoerri avec l’objectif fisheye. Christo et Jeanne-Claude avec leurs premiers emballages. Claes Oldenburg et ses sculptures molles. Le peintre Larry
Rivers, sa femme Clarice et leur bébé de six mois. Tout un aréopage nouveau-réaliste, pop, inventif, critique d’une société de consommation dont l’épicentre est New-York, également capitale internationale de l’art à l’époque.
Yves Debraine photographie aussi les artistes avec un objectif 35 mm, dans un format plus conventionnel. C’est un photographe en pleine possession de ses moyens, à l’œil reconnu en Europe et aux Etats-Unis, qui, entre des rendez-vous professionnels, s’offre la liberté de l’expérimentation. Et du même coup de l’essai visuel, sans obligation de parution dans un magazine. Yves Debraine ne s’est jamais pris pour un artiste. Chez lui, le journaliste revient toujours au galop.
Lors de sa découverte du Chelsea Hotel, Yves Debraine prend des notes rapides sur des feuillets à l’enseigne de l’Algonquin. On y lit que l’écrivain irlandais Brendan Behan, tué l’année précédente par l’alcool, se promenait à poil dans l’hôtel. Daniel Spoerri se rappelle que sa mère, à Thoune, lui disait « Tu fais le clown pour un monde pourri ». Niki de Saint Phalle remarque que les États-Unis sont un pays plus neuf que l’Europe pour l’art et, qu’ici, « Ils ne sont pas encombrés de meubles ». Christo raconte sa fuite vers la liberté au moment de l’insurrection hongroise. Arman insiste : « Je vis sur les surplus de la société ». Un moment extraordinairement créatif, autant pour l’art contemporain que pour un photographe de passage à New York, à la jonction de l’hiver et du printemps 1965.
En lien avec l’exposition :
Rencontre | Jeudi 20 mars 2025 à 18:30 à la Maison de l’Architecture
« L’habitat participatif à Zurich : une source d’inspiration pour la ville ? » avec Laurent Dessay
Entrée libre
Rencontre | Jeudi 10 avril 2025 à 18:30 à la maison de l’Architecture
« Des origines bisontines du Chelsea Hotel à la contre-culture et aux avant-gardes » avec Louis Ucciani
Entrée libre
CinéMA #112 | Mardi 15 avril 2025 à 20:00 au CinéMa Victor Hugo, Besançon
Dreaming Walls, un film de Maya Duverdier et Amélie van Elmbt (Belgique, France, Pays-Bas, Suède, États-Unis, 2021, 90min.) en présence de la réalisatrice Maya Duverdier
Tarif unique 5 euros
Remerciements à Luc Debraine, Jean-Pierre Bugada avec Les Amis de Victor Considérant, Louis Ucciani et au frac Franche-Comté