Réponses aux arguments de la Ville pour la démolition du bâtiment Ledoux

Un rendez-vous tant attendu

La pétition lancée en octobre 2024 contre la démolition du bâtiment Ledoux prévue dans le projet d’aménagement urbain de l’ancien hôpital Saint-Jacques à Besançon, et le bon nombre de signatures obtenues ont permis d’ouvrir une fenêtre de discussion.

Plusieurs architectes et administrateurs de la Maison de l’Architecture ont pu, dans un premier temps, fin décembre 2024, rencontrer Michel Hössler, directeur-fondateur de l’agence TER. Cette agence d’urbanisme parisienne a été choisie par la Mairie et Territoire 25 pour l’opération Saint-Jacques et nous a présenté un peu plus en détail leur projet.

Ensuite, nous avons pu enfin être reçus par la Maire de la Ville de Besançon, accompagnée de son directeur de Cabinet et de l’élu à l’Urbanisme.
Une discussion intéressante, bien sûr… Mais trop courte pour traiter l’ensemble des enjeux qui appelle donc à d’autres échanges.
Il a été question du projet d’aménagement urbain de Saint-Jacques mais aussi de Planoise et Palente, de la machine à détruire qu’est l’ANRU (Agence nationale de renouvellement urbain), de densité, de qualité urbaine par le tissage contextuel, de l’aspect humain et écologique…

Différents arguments ont été formulés par l’équipe municipale auxquels nous aimerions répondre.

L’Agence TER nous a expliqué son projet, avec la mémoire et l’écologie comme dimensions fondatrices du projet…
L’écologie, comme la mémoire, devrait commencer par la réhabilitation.
L’ANPU (Agence nationale de psychanalyse urbaine) avait pourtant dans son diagnostic bien relevé les “pépites” existantes (pour reprendre le terme utilisé par TER pour désigner un futur bâtiment sortant du lot et flottant dans le plan masse), le pavillon d’entrée de la Mère et l’enfant était un petit bijou architectural…
Avec tous les bâtiments détruits, l’hôpital est rendu amnésique de son patrimoine.

C’est toute l’histoire de St-Jacques qu’est l’entrelacs de cours et les successions d’époques.
L’agence de paysage parisienne dessine des flèches qui n’auront de réalité que sur leur écran, et des bâtiments monumentaux sans lien au contexte. Nous ne voulons pas d’une architecture ex-nihilo, une architecture de grande métropole alors que nous n’aurons pas les investisseurs pour les construire correctement. Nous ne voulons pas de plots flottants dans un parc surdimensionné là où l’on peut faire de la densité, en plein centre-ville ancien.
À la vue du plan masse de l’avant-projet, le manque de densité est tout simplement choquant.

Avant-projet de l’agence TER présenté au CM de juin 2024

Les arguments avancés par la Maire et son équipe :
1 | « Le bâtiment est décalé ! »

L’architecte René Tournier se serait trompé ?
Pourtant c’est parce qu’il s’installe dans la continuité des autres bâtiments qu’il permet de créer la cour-jardin de l’hôpital. Son léger décalage provient justement de son adaptation, raconte et crée l’histoire du site.

Vue aérienne, 1964

L’alignement est inventé par les urbanistes sur des logiciels qui ne connaissent que les lignes droites !
Au contraire, les décalages introduisent de la vie dans le dessin urbain, c’est de là que naît la créativité, l’inattendu qui fait du bien au badaud.
De plus, en parallèle, l’OAP (Orientation d’aménagement et de programmation) est modifiée pour donner de la liberté en termes d’implantation et de limites séparatives, permettant une “pépite” posée sans cohérence avec le contexte.
Une OAP qui donne la possibilité de démolir uniquement s’il s’agit d’un bâtiment annexe qui n’est pas en cohérence avec l’ensemble bâti.
Ce n’est pas le cas de Ledoux.

2 | « Le projet s’appuie sur une concertation lourde »

C’est une fausse concertation utilisée pour légitimer le projet : on ne peut pas l’appeler comme cela quand il s’agit de questionner les gens sans aucunes données ou mise à niveau d’information. La question sur la démolition elle-même était biaisée : “ Faut-il conserver Ledoux ou Bersot ? ”
Pourquoi ne pas déjà poser la question « Faut-il démolir ? ». C’était sans doute ironique car ce n’est pas une question qui est laissée au choix du public en visite.
Ou alors si la question était posée, c’est qu’il était possible de le garder !
Par ailleurs, la concertation a porté sur les parcs publics mais pas sur le projet urbain.
Des ateliers ont été organisés avec les voisins mais aucun atelier n’a été réalisé avec l’association Hôp hop hop, travaillant pourtant sur le site et ses usages depuis 6 ans, habitant les lieux.

3 | « La programmation est compliquée sur ce bâtiment »

C’est difficile à croire dans un bâtiment traversant, conçu pour faire différentes chambres, des cellules, de manière très rationnelle.
Quel architecte n’est pas prêt à relever le défi d’y adapter un nouveau programme ?
Si le quartier doit attirer des familles,
il ne doit pas se limiter à de grands logements sans mixité de typologie.
Si cela ne convient pas pour du logement, pourquoi ne pas y mettre l’hôtel qui est prévu dans des bâtiments très adaptés à du logement ?
Et pourquoi ne pas avoir questionné ce programme avec une occupation transitoire plutôt que d’avoir curé le bâtiment pour avancer sa fin ?

Photographie, années 1950

4 | « Le bâtiment est inondable »

Il est facile de prévoir un usage adapté au rez-de-chaussée. Un parking vélo peut être inondable.
Et c’est du coup un argument pour ne pas reconstruire du neuf sur un espace inondable demandant énormément de transformation du site et d’infrastructure pour contrer l’eau, alors que le bâtiment Ledoux est là depuis un siècle, et sur de bons pieds.

5 | « L’aspect social prime sur l’aspect écologique »

Les deux devraient aller ensemble normalement ! La réhabilitation est bien plus vectrice de valeur sociale et donne des espaces de meilleure qualité.

6 | « Il faut une ouverture »

Le site est déjà très vert, il n’y a pas d’enjeu à créer des perspectives entre deux parcs. Des liens certes, des trages piétons permettant une perméabilité du site, mais pas du vide entre des vides.  Le vide ne crée rien d’ailleurs, ce sont les constructions qui créent l’espace et non l’inverse. Il faudrait plutôt redonner de l’usage aux parcs existants.

Vue aérienne, 2022

L’ouverture du site et la qualité des espaces publics ne dépendent pas de la démolition.
Sur le plan masse de l’OAP modifiée, la flèche en diagonale qui traverse Ledoux n’est autre qu’une invention d’urbanisme hors sol. Bien loin des lignes de désir tracées par les usagers. Il est tout à fait possible de passer à travers le bâtiment Ledoux ou sur ses bords. Il faut donner de la perméabilité au site tout en respectant son aspect de labyrinthe à explorer. Lors des visites du site les habitants étaient surpris et heureux de découvrir la succession de cours comme des trésors cachés.

Un projet respectueux de la typologie urbaine locale proposerait des cours-jardins à l’aspect intimiste, permettant de relier le grand jardin central, et non pas d’ajouter un parc entre deux parcs immenses. Tout cet aspect ouvert ne permet pas de qualifier les espaces, il les laisse indéfinis et inappropriables.
Pour ce qui est d’offrir une visibilité sur la grande bibliothèque en arrivant du pont Canot, ce n’est pas non plus en démolissant Ledoux que cela va se faire. Depuis le pont, ce sont les platanes qui vont être visibles, et c’est leur perméabilité plutôt côté avenue qui permettra d’amener à la bibliothèque.

7 | « Cela coûterait trop cher »

En densifiant davantage, il est possible de rendre économiquement viable l’ensemble. Certaines opérations arrivent à réhabiliter plutôt que démolir à l’échelle d’un bâtiment, cela devrait être plus facile à rentabiliser avec une opération aussi grande, permettant de balancer les coûts et bénéfices et de jouer de vases communiquant.
Dans le comparatif démolition-reconstruction ou réhabilitation,
le coût environnemental n’est pas pris en compte. Il devrait intégrer le pillage des ressources, la destruction des écosystèmes et le recyclage des déchets.
Fait-on de l’économie à court terme ou à long terme ? Est-ce qu’on compare deux bâtiments à qualité égale ? Un nouveau bâtiment en béton isolé en polystyrène, ce n’est pas comparable, et pas plus économique sur du long terme qu’un bâtiment durable. On ne changera rien si on ne change pas notre économie.
Capitalisme et écologie sont antinomiques, mais il y a d’autres modèles économiques possibles. Il faut remettre du bon sens dans notre économie. Si on doit démolir pour être rentable alors c’est que nous sommes sortis du bon sens ! Tout comme aujourd’hui on achète moins cher du bois venu de loin que du bois local, ce n’est pas pour autant qu’il faut le faire : ce n’est ni normal ni logique.
Sur le long terme, construire mal coûte cher, car les matériaux non durables moins cher à l’achat vieillissent mal et il faudra les changer. Tout comme le non entretien. On cherche à éviter les coûts d’entretien mais c’est une politique de l’autruche. Un bâtiment doit être entretenu régulièrement pour ne pas se dégrader et avoir à le démolir et reconstruire neuf. Le jeu est par ailleurs faussé, l’État devrait financer la réhabilitation et non la démolition, changeant l’équation économique !
D’autre part, pourquoi la question ne se pose pas pour d’autres bâtiments qu’il faut absolument préserver peu importe le prix lorsqu’ils sont considérés comme du patrimoine.

TOUT EST PATRIMOINE !
Les bâtiments d’aujourd’hui sont le patrimoine de demain, et il faut cesser de juger le patrimoine pas assez ancien avec des goûts esthétiques fluctuants et subjectifs. Les bâtiments doivent être analysés à la vue de leur histoire, et de leur qualité architecturale et constructive.
Et il va falloir commencer sérieusement à considérer le béton comme un matériau noble et précieux. Contrairement aux pierres de taille, il est très compliqué à réemployer car il perd ses qualités mécaniques à la déconstruction. On devrait donc le conserver de manière prioritaire. C’est un matériau prodigieux, mais aujourd’hui il devrait être luxueux et réservé aux endroits où il est absolument nécessaire. Nous n’avons plus de sable et nos océans sont en cours de destruction pour le fabriquer !
Pourquoi, dans la crise environnementale dans laquelle nous sommes, la matière du bâtiment Ledoux n’est-elle pas considérée comme suffisamment précieuse pour être conservée ? Pourquoi l’aspect patrimonial du bâtiment Ledoux n’est pas considéré ?
Il est représentatif d’une époque et d’un système constructif, il a été conçu par l’architecte René Tournier, un des architectes qui a le plus modelé le paysage urbain de la capitale comtoise au XXe siècle, et a plus de qualités spatiales constructives et esthétiques que beaucoup de bâtiments neufs. L’édifice est intégré au site et fait écho à d’autres bâtiments environnants, ce qui amène une cohérence dans l’ensemble urbain.

Pour garantir la viabilité économique, il faut aussi concilier édifice existant et usages futurs : l’usage futur doit être adapté pour limiter les transformations lourdes.
Démolir signifie également refonder les futurs bâtiments. Il est important de considérer l’impact écologique de tels bouleversements, en prenant en compte la face cachée de l’iceberg. La partie la moins résiliente d’un édifice est son infrastructure. Le site Saint Jacques est à ce titre témoin de nombreux bouleversements historique : bras du Doubs aménagé en port de livraison, canalisation de ce bras du Doubs par les fortifications Vauban, arasement des remparts et comblement du fossé, création de voiries lourdes : ponts Canot et Charles De Gaulle, construction de la grande bibliothèque. Les fondations des anciens ouvrages se retrouvent en couches successives. Or pour fonder des édifices de plusieurs tonnes, il sera nécessaire de garantir le terrain d’assise et d’y purger les différentes strates historiques. Dans ce cas, en termes d’investissement, la démolition est défavorable. Toucher les fondations, c’est aussi des coûts de fouilles archéologiques en plus ! Même si Vinci gardait Ledoux mais pas pour les bonnes raisons, cela marchait alors qu’ils avaient aussi des objectifs de rentabilité.

Prenant en compte tout cela, est-ce qu’avec une véritable volonté politique, il est possible de trouver une solution pour conserver Ledoux ?
Il y a une volonté politique de garder l’allée de platane et on les garde. C’est très bien de conserver les arbres (en Asie, les bâtiments se décalent pour leur laisser la place sans pour autant se censurer) et il faut le faire, mais le bilan écologique de démolir à côté un bâtiment est bien pire qu’il n’aurait été de les couper pour construire.
Bonne nouvelle, il serait possible de garder les deux.
Ce serait même un geste fort et nécessaire, une volonté de démontrer qu’on peut faire autrement, et que cela commence maintenant, à Besançon.
La statue de Victor Hugo se sentira bien flouée quand elle prendra place à l’entrée d’un quartier innovant qui ne répond pas aux enjeux de l’urbanisme aujourd’hui : la frugalité heureuse et créative. Il faut faire exemple !
Si ce n’est pas notre mairie écologiste qui montre ce chemin, qui le fera ?
Comment allons-nous amorcer les changements nécessaires si nous n’arrivons déjà pas à garder ce bâtiment ?
Après la démolition de la Mère & l’Enfant, il n’est plus possible de continuer ce gâchis et cette destruction patrimoniale.

Exemple de contre-proposition

QUESTIONS & THÉMATIQUES À DÉBATTRE

DÉVELOPPER UN URBANISME COHÉRENT ?
C’est bien de réfléchir de manière globale en termes de thématiques, mais qu’est-ce que cela veut dire, car il y a différentes visions de ce qu’est la cohérence. Par exemple l’unité dans la diversité de Lucien Kroll, ce n’est pas l’urbanisme bien rangé et glaçant des nouveaux quartiers comme à côté des Lentillères à Dijon. Le mélange de typologies est ce qui laisse à la ville un aspect vernaculaire et vivant, ce qui peut paraître incohérent : mélange de barres de logements collectifs et petites maisons de ville sont une caractéristique de Besançon, et ce qui lui donne sa richesse. Penser globalement ne doit pas être continuer de faire de l’urbanisme de zonage : pourquoi est-ce qu’on continue de dédier des zones à l’artisanat, au sport, à la culture…?! Quelle ville veut-on produire ? Celle des zones n’est pas la ville des 15 min.
Aujourd’hui personne n’a envie d’habiter à côté de Leroy Merlin dans une zone industrielle. Mais si on ne modifie pas ces quartiers, on n’en aura jamais envie. Tant qu’on ne mélange pas habitations, activités et services, on va continuer la concentration d’une centralité qui crée des bouchons. On n’a pas envie d’habiter ces quartiers car ils sont faits pour que des voitures habitent. Les rues ne sont pas à l’échelle des gens, l’architecture non plus, il n’y a pas de parcs, pas d’espace public. Personne n’a envie de marcher sur ces routes le long des barrières des parkings de blocs commerciaux. Même dans les quartiers neufs de bureaux des grandes villes internationales, il y a des petits commerces, des terrasses de cafés, des circulations piétonnes, des places avec des arbres et des bancs. De la ville.
Un énorme enjeu et chantier de la périphérie de Besançon est de transformer le boulevard en avenue urbaine.

REVENIR SUR LA PROGRAMMATION DE SAINT-JACQUES ?
Dans l’OAP, il est question de nombreux évènements ayant permis de discuter des usages de l’espace public. Il y en a eu un (le 2e était une restitution), et les lieux n’ont jamais été aussi fermés depuis qu’ils sont propriété publique. Avant, ils ont été ouverts et testés par des associations avec concerts, cinéma, conférences, sport, expositions… Il aurait été intéressant de réaliser une préfiguration avec des animations régulières dans la cour d’honneur et une permanence architecturale avec de l’urbanisme transitoire.
Une préfiguration de la transformation du parking en place Saint-Jacques aurait aussi pu être mise en place depuis plusieurs années, faisant une transition en douceur et questionnant l’espace public. Mais le projet proposé par l’association Hôp Hop Hop avec le service Espace Vert de la Ville a été refusé.
Une étude sur les besoins du secteur culturel a été réalisée mais comment le bilan est-il exploité ?
Un manque d’espace d’exposition avait notamment été mis en avant. Or les cuisines de St-Jacques ne sont plus accessibles et ce besoin ne semble pas avoir été pris en compte dans la future programmation. L’activité culturelle du site ne doit pas se limiter à la bibliothèque et doit au contraire entrer en résonance avec celle-ci.

DÉMOLIR ?
Planoise est contraint par l’ANRU, mais Palente non, pourquoi les démolitions s’enchaînent-elles également dans ce quartier ? Sur des bâtiments qui ne sont pas dégradés. Pour lutter contre le narcotrafic, on a enlevé des bancs, coupé des arbres… Maintenant on démolit des bâtiments. On ne fait que déplacer le problème et ne pas le régler à sa source, c’est inefficient.
Ces bâtiments doivent être réhabilités. Car ils ont effectivement des problèmes d’acoustique et d’isolation. Mais ce n’est pas une raison pour les démolir plutôt que de les réhabiliter. Certains le sont d’ailleurs, et ils ont le même système constructif, les mêmes problèmes.
Pourquoi leurs pairs sont-ils, eux, détruits ?

Et il faut cesser les protocoles d’abandon des bâtiments : les gens sont contents d’être relogés mais, forcément, si on leur propose un logement neuf après les avoir laissés dans un bâtiment non entretenu et un logement vétuste… On laisse les bâtiments se dégrader, on les vide de leurs habitants longtemps avant la démolition, si bien qu’il ne reste plus d’autre choix que de les détruire. Les gens ne sont pas contents de devoir quitter leur quartier et leurs relations sociales. C’est un déracinement pour beaucoup, alors qu’ils sont déjà en questionnement identitaire, en recherche de leurs racines.
La classe aisée demain n’achètera pas plus à Planoise parce qu’il y a moins de barres. S’il devenait un quartier d’investissement, il y aurait un phénomène de gentrification et les gens ne pourraient plus se payer leurs appartements. La réhabilitation peut améliorer un bâtiment et le rendre désirable, déjà pour les gens qui y vivent, mais aussi pour ceux qui pourraient vouloir vivre dans ce quartier car les logements sont de qualité et abordables.

Au lieu de démolir les bâtiments jouxtant la place Olof Palme, la question pourrait être reliée au travail du projet de recherche Caravane mené par Aline Chassagne. Une expérience architecturale pourrait être mise en place, à la manière de Patrick Bouchain et Sophie Ricard à Boulogne-sur-Mer, avec des habitants et une permanence architecturale. On sélectionne un panel d’habitants avec une mixité générationnelle, on réfléchit aux appartements, à leur modularité et aux espaces communs, et on fait avec eux. Une expérience de réhabilitation à l’échelle d’un bâtiment pour trouver comment on aimerait vivre.

COMMENT ATTIRER LES FAMILLES, QUITTER LE RÊVE DU PAVILLON ?
C’est toute une culture à changer ou une alternative à offrir à ce qui attire dans le pavillon.
Il s’agit déjà d’avoir un espace extérieur : pourtant souvent il n’est pas fait grand-chose de cette pelouse qu’il faut en plus tondre pour faire “propre” (une vision esthétique étrange, qui supprime la vie, héritage hygiéniste dans la lignée de l’urbanisme du même nom ?). Finalement, ce qui est important, c’est d’avoir une terrasse avec une vue agréable et intime à la fois. L’espace pour que les enfants courent peut être partagé.

Il faut donc réinventer l’intimité dans la densité, jouer des orientations, des jardins et des frontages : espaces de transitions entre l’espace commun et l’espace privé. Et montrer l’avantage des espaces communs : avoir ce que l’on ne pourrait pas avoir seuls. Dans les pays nordiques, ils savent très bien faire des logements collectifs qui font rêver, partager des barbecues et autres mais il y a une culture du vivre ensemble différente.

La maison individuelle attire car on ne veut pas de voisin, on ne veut pas avoir à gérer une copropriété… À part par contrainte de budget, il semble difficile de changer ce rêve. Mais c’est aussi le rêve d’avoir accès à une maison moins chère. Or il faut là aussi recalculer les coûts : il s’agit de maisons bas-de-gamme et le coût du transport n’est pas pris en compte dans le coût d’achat.
Il n’est pas moins cher d’acheter à la campagne quand on travaille en ville. Acheter ou construire moins cher loin d’un système de transport collectif, et ensuite réclamer que l’essence ne soit pas chère, il faut expliquer que cela n’a pas de sens. Au nom de quoi ce principe devrait-il exister ?
Tout comme considérer que privatiser 12m2 d’espace public pour garer sa voiture ne devrait pas être payant.
Pourquoi ?

Les mairies eux-mêmes se sont fait avoir, cherchant à attirer les habitants pour obtenir des impôts et des enfants à l’école, ils ont créé des zones pavillonnaires où ils ont perdu de l’argent à viabiliser des terrains éparpillés, avec un très mauvais résultat du coût par habitant.
Offrir une alternative au rêve pavillonnaire, c’est aussi proposer en ville des logements individuels moins consommateurs de terrain et moins coûteux environnementalement parlant. Car, à moins que plus personne ne puisse payer une maison individuelle, il semble irréaliste de les supprimer.
Il y a par contre un enjeu peut-être plus important que le changement de ce rêve de la campagne : y créer de l’activité plutôt que de chercher à empêcher les gens d’aller s’y installer. Le problème, c’est que les activités se concentrent dans les villes et que cela engendre des trajets et leurs conséquences en coût, baisse de confort de vie, pollution…
Les familles cherchent à avoir une maison avec un espace extérieur privé, mais elles apprécient aussi les activités de la ville, et c’est ce que recherchent les néo-ruraux, changeant petit à petit nos campagnes avec beaucoup de projets de lieux alternatifs qui voient le jour et réinventent la vie rurale.
Aujourd’hui il faut développer des bourgs actifs, arrêter de concentrer les possibilités d’emploi dans les villes, penser la question du logement dans sa globalité : habiter veut aussi dire se déplacer, aller faire des courses, se détendre, sortir dans des lieux de sociabilisation…
Les programmes ne doivent pas penser à la construction seule mais au lien qu’elle entretient avec son quartier et aux activités qui peuvent être apportées.
Les projets de densification des zones pavillonnaires ne doivent pas juste ajouter des logements. C’est pareil en ville, la réhabilitation de l’ancien jardin botanique à Besançon, par exemple, doit prendre en compte la globalité de ce qu’habiter veut dire, et il ne devrait plus y avoir un seul nouveau bâtiment sans mixité d’usages.

LE FONCIER ET LA PROPRIÉTÉ
Aujourd’hui, il y a un problème général révélé par l’utilisation du mot « produit » pour parler de nos lieux de vie… Notre société de consommation a avalé ce qui est un droit et un besoin primaire. Le logement ne devrait pas être un produit de spéculation.
Il est nécessaire de repenser le système de propriété pour contrer cela et dissocier le foncier du bâti. Les OFS (Organismes de foncier solidaires) sont un moyen efficace.
Que le sol reste propriété publique, commune, et que le privé n’achète que le bâti et ne soit propriétaire que de ce qu’il construit, semble si logique ! C’est une solution pour donner accès à la propriété aux petits budgets, mais c’est aussi une autre manière de penser et une manière de changer notre rapport à la terre dont nous ne sommes que locataires temporaires !

De nombreuses expériences sont menées depuis longtemps par des bailleurs sociaux, des mairies, des habitants, qui inventent des montages d’opérations alternatifs : coopératives d’habitations, Maisons Castors où les ouvriers paient en heure donnée leurs logements, logements à but non-lucratif comme en Autriche…